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bord de table

N° : 49, Le mercredi 17 mars à 22 heures 53 minutes et 39 secondes.

juste un léger virage à gauche, puis



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Pense-bête.

N° : 48, Le lundi 24 août à 20 heures 51 minutes et 30 secondes.

Dans vingt-quatre mois, je serai libre de tout crédit, dette, attache comptable avec qui ou quoi que ce soit. Je serai sorti de ce putain de système que j'exècre, un lambda social pur, dont la disparition ne causera que son remplacement par un autre lambda. Sans que mes parents ou mes proches aient à payer pour moi.

Je serai à la veille de recommencer un cycle professionnel, de recommencer une boucle et de fonctionner dans le système, celui que j'accepte, celui des fonctions et des utilités sociales.

J'aurai par ailleurs, soit terminé soit presque terminé ce putain de bouquin, soit avancé au moins, soit aussi constaté mon impuissance à l'écrire tel que je le veux (et donc des raisons d'essayer autrement). En tous les cas, j'aurai suffisamment travaillé là-contre pour savoir si je peux dominer cette matière-là ; ou s'il faut être humble.

J'aurai eu vingt-quatre mois de chances de me manger un arbre accidentellement (mon corps est un petit malin).

Et surtout, dans vingt-quatre mois sera le troisième anniversaire d'il y a un an. Si je suis encore à genoux dans vingt-quatre mois, c'est que mes jambes sont trop usées pour fonctionner à nouveau, avec, d'ailleurs, qui que ce soit.

Dans vingt-quatre mois, beaucoup de choses auront pu se passer, dans quelque sens que ce soit, les pires comme les meilleures, de mon fait ou de celui d'autrui.

Alors je pense, je crois, je sais que dans vingt-quatre mois, si rien ne s'est produit de ce que j'espère (pour vivre autrement qu'en traversant des milieux étrangers sans y agripper, sans rien pouvoir y comprendre, en ne créant au fond que des turbulences de sillage, parce que ma vie n'a ressemblé qu'à des turbulences de sillage et des schrapnels qui tournoient, depuis un an), ou de ce que je crains comme la mort, j'aurai le droit, j'aurai l'envie, je prendrai la décision, de me barrer sans dire au revoir et d'aller sur les routes ou les falaises, on verra.

Voilà. Maintenant j'ai un but.



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Coin de table numéro neuf (où l'on sombre dans l'étang des blogs suicidaires les plus médiocres)

N° : 47, Le jeudi 20 août à 18 heures 18 minutes et 25 secondes.







Il faudrait un canon scié court. Mais voilà. Pas de permis de port d'arme. On n'a jamais que les excuses qu'on mérite et qu'on peut. Je survis, et je vis, par défaut et impuissance.

Le canapé conviendrait, orange, éclatant à mes yeux d'autrefois, terni non dans les faits mais dans mes mêmes yeux, rendus à l'objectivité. Ma vie ternit toujours après un temps, mais c'est le regard que j'y porte qui se voile ; pas elle. Il, elle, a toujours été ternasse et orangeâtre.

Le temps et l'heure sont idéaux, un fond d'après-midi d'été tiède, pas très orageux, seulement un peu lourd, et pas encore l'heure d'avoir faim, et déjà celle de s'ennuyer d'attendre l'heure d'avoir faim. Une des heures de rien.

Face à moi la fenêtre, au-delà l'au-delà, la cathédrale qui regarde à gauche, à rebours, comme moi, gothique provençale avec sa transcendance écrabouillée par des ambitions de volume inutile, et ses pierres usées par le vent. Et les pigeons, et les étourneaux. Et toutes leurs myriades de crottes. Les tuiles romaines mouchetées de crottes de pigeons et d'étourneaux braillards.

Derrière moi de longues journées d'occupations diverses et imposées, et acceptées, dont une dernière sans plus de goût que les autres ni plus d'horreur. Juste une de plus. Derrière moi aussi le canapé trop profond, et mes jambes posées molles sur la table basse. Et les quelques puces survivantes après la guerre chimique, les détails de vie inavouable de mon appartement, qui sautent sur mes bras et mon crâne. Et je suis mal assis. Je suis toujours mal assis.

Alors comme accroupi les articulations souffrent vite, comme allongé en croix sur le sol on prend très vite conscience de l'ineptie de la situation corporelle, comme roulé en boule au fond d'un coin de mur ou de lit, on n'est jamais qu'un succédané de foetus, faute de redevenir foetus, et de vouloir subir, il faudrait un canon scié court.






Le meilleur endroit, c'est l'arrière du crâne. La pointe osseuse juste au-dessus de la nuque. C'est là qu'il faudrait caler la bouche du canon. La base du cerveau attend le plomb juste derrière. D'un tir de grenaille, on sectionne la totalité des fibres nerveuses, et les zones touchées sont les plus fragiles et les plus immédiatement nécessaires à la vie. Se tirer dans le cortex frontal, par exemple, c'est très crétin. Mal calculer son angle en tirant dans la tempe et finir légume, mais conscient, voilà qui est tout à fait ridicule. De même que l'emploi de petits calibres et d'armes à balles et pas à grenaille. Non. Fusil de chasse ou à pompe, arrière du crâne, et comme l'arrière du crâne est inaccessible, il faut mordre au canon, tenir la gâchette du pouce, et si l'on est assis droit, tirer à 45° vers le haut. Que ceux qui tirent vertical se préparent à des années de reconstruction faciale potentielle et de survie minable, en apprenant à respirer sans fosses nasales, et se préparent aussi à s'imaginer la tronche cassée qu'ils garderont pour le restant de leurs jours, sans probablement jamais pouvoir la voir, leurs yeux ayant de bonnes chances d'aller se tartiner sur leur plafond, avec un peu de cerveau, mais trop souvent, pas assez pour qu'ils périssent ; ces crétins. On en a vu survivre et attendre les soins le visage coupé en deux, ouvert comme un tartare de boeuf, et la langue frémissante et glougloutante au bas de la plaie. Goûter son sang mêlé à ses humeurs aqueuses, voilà ce qu'ils auront gagné, plaisir certes rares, mais cher.

En tirant à 45° vers le haut, canon en bouche et pouces sur la gâchette pour éviter le pivotement de l'arme au moment du tir, on s'assure de détruire irrémédiablement la base du cerveau et le départ de la moelle épinière. Déconnexion instantanée.

J'aimerais savoir où reste la conscience, l'instant d'après. Mais voilà. Pas de permis de port d'arme. On n'a jamais que les excuses qu'on mérite et qu'on peut.



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Coin de table numéro huit. (Q.E.D.)

N° : 46, Le lundi 27 juillet à 10 heures 49 minutes et 47 secondes.




05:22:11

Je sais vraiment plus quoi foutre de ma vie. Presque un an que ça dure. Au bout du compte, entre les tenants et aboutissants d'un drame sentimental et d'une tragédie grecque, y a peu de choses. Quand tu te fais détruire par quelqu'un, t'es tout autant condamné que si l'ordalie divine ou la loi ou les princes ou une princesse t'envoyait au feu, et une princesse t'envoie vraiment au feu ; mais un feu métaphorique, et à perpétuité, sans mise à mort, sans gloire, et sans même le droit à la plainte tragique. Parce que c'est moche, une plainte en drame ; ça devient de petits cris geignards. Même plus le droit à la grandeur. Démoli, et désarticulé comme un gnou qui courait et à qui t'as flanqué un coup de planche en pleine course et en pleine gueule. Cassé, pourri de partout, et condamné aux lamentations intérieures et aux tortures mentales et aux crises d'angoisse. D'ailleurs j'y retourne.


05:57:30

Ce qui fait qu'au fond, la différence entre le drame et la tragédie tient seulement à une géographie des causes. Cause hors du territoire du moi et supérieure à lui, tragédie. Cause incluse dans le territoire du moi ou assimilée à lui, drame. Dès lors la tragédie est météorologique, et le drame, tectonique ou géologique. Des météores enflammés et éclatants d'un côté, des explosions, un vacarme de fin du monde, et de l'autre, des cailloux usés. Et de la poussière, et des étangs putrides qui dégazent du méthane ou du dioxyde de carbone.

Et l'histoire découle de leur géographie. La tragédie, instantanée autour du moment critique ; le drame, lent et lancinant, et terne, et pulsatile.

Et le drame fait dire des trucs dont tout le monde se branle.
aussi


10:14:29

Ou bien c'est une question de contamination. Le drame est soit viral, soit même tumoral ; un contact ou même un frôlement, une radiation, un individu jusque là anodin qui passe à proximité du malade, et le voilà contaminé, alors que le sujet qui l'a contaminé s'en va, sans culpabilité aucune et persuadé d'avoir bien agi et, peut-être, n'ayant commis aucune faute consciente. La tragédie ne permet aucune pénétration, elle ne fait pas traverser les frontières des sujets, elle n'autorise pas les développements du mal a posteriori, elle ne laisse pas malade ; elle explose, elle écrase, elle éclate immédiatement, la cause défonce le sujet, lui tartine proprement la face contre sol de marbre, mais toujours, la cause et le sujet restent des étrangers l'un à l'autre. En ce sens, la tragédie est propre, et profondément digne.

Non, j'ai pas dormi, et y a personne, alors je m'étends.
que ça à foutre
canon scié, bitte schön


10:28:47

En découle une analyse possible sous l'angle de la justice. Dans la tragédie, n'est coupable et pleinement coupable que la cause extérieure du mal (dieux, rois, lois, destinée, princesse), avec préméditation si conscience il y a, et avec la circonstance aggravante que la cause est d'un statut et d'un pouvoir supérieur, par essence, au sujet. L'affaire est simple, et le sujet, qui lutte du début à la fin, est une victime pure, apte à n'inspirer que la pitié (ou la terreur si elle sombre dans sa seule fuite, la folie et la démesure). Dans le drame, l'affaire est telle qu'on en voit dans les tribunaux humains : sale, complexe, indiscernable. S'il y a amour déchu, la cause a d'abord été celle d'un bien indiscutable et premier ; ensuite seulement, elle est devenue cause de malheur, par sa défaillance, avec circonstances aggravantes ou atténuantes (jugées telles ou telles selon la partie) ; mais surtout, ensuite, la culpabilité se partage, si l'on observe le référentiel centré sur le mal : il devient causé non par la cause première, mais par le sujet lui-même, ses atomes et sentiments contaminés, son cancer intérieur, ses ressassements auxquels il ne peut rien, sauf médication, et encore, sauf alcool, et encore.

A cet égard le suicide, qualifié communément de "fin tragique", relève bien plutôt du drame. La tragédie n'a que faire d'un sujet qui, sans aucune logique, se substituerait tout à coup à la cause de ses maux et s'ôterait la vie au lieu de lutter (puisqu'il est sain, lui, encore et toujours). La posture philosophique est imaginable, mais invraisemblable. Même les grands suicidés de l'histoire, "volontaires", les Cicéron ou les Cléopâtre ou les Antoine ou les Caton, se sont tués sous la contrainte, poliment arrêtée aux portes de la maison, de la ville ou du pays, et prêtes à fondre, et déjà actives en ce sens.
Le suicide est un acte d'une logique pure et cristalline, dans le drame, supprimant d'un même coup le sujet souffrant (et qui n'est pas ou plus forcément luttant), et la cause nouvelle, intérieure à lui-même, coupant donc le cercle vicieux et permettant l'accession à un nouvel équilibre des forces en présence, l'équilibre du zéro. Zéro coupable présent, zéro victime. Le suicide devient un acte très logiquement imbriqué dans le drame, quoique sans aucun aspect "dramatique", au sens faible ; bien plutôt, médical et, vraiment, logique.



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cHER JOURNAL §§

N° : 45, Le samedi 02 mai à 20 heures 24 minutes et 48 secondes.

Je bois du mauvais vin local tout en écoutant album et titre après album et titre toute l'intégrale de Nirvana (j'en ai pour une semaine au moins). Je porte un sweat noir à capuche et je me dis que ça me donne un air Black Bloc tout à fait classe. Je l'ai acheté à Décathlon, mon sweat. Il me donne un air société de consommation tout à fait pas classe. Je suis un vieux con dépassé.

J'ai tout à l'heure déposé sur le tapis roulant une entrecôte, justifiée par mon salaire il y a trois jours et le miracle de mon compte positif (ça va pas durer plus de dix jours, je connais mes failles et mes crédits), des saloperies d'apéro en pagaille, une bouteille de pastis et une du mauvais vin local que je bois en ce moment même, ainsi que des tomates du Maroc et des pamplemousses de Corse, qui auraient tout aussi bien pu être du Limousin ou du Groënland, c'est du produit chimique avec 12% de fruit dedans. Je suis un consommateur célibataire pathétique.

J'étais auparavant passé à Montolieu, avec le projet heureux et bien établi de me trouver un Deleuze intéressant, ou un Malraux. Aucun Deleuze, et des Malraux surlignés ou puants la crasse. Je suis rentré bredouille. Je suis un semi-intellectuel bourgeois désargenté merdeux.

J'ai songé un instant, au retour, à me flanquer la gueule contre un platane, mon platane, celui des écorces vives, car il existe. Existait. On l'a coupé. Il n'y a plus de platane à l'endroit du platane de la joie dorée des écorces vives. Je suis un putain de pseudo poète décroché de la réalité, périmé comme tous les rêves exaltés.

J'ai vu partout la femme que j'aime, dans les titres des livres, dans les lumières du soir, dans les pays, les noms, les sons, partout. Je suis une merde amoureuse périmée.

Cher journal, je me crache à la gueule.

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indus martial n°1

N° : 44, Le dimanche 17 août à 12 heures 55 minutes et 43 secondes.






"Je n'ai plus que les os, un schelette je semble",
Mes entrailles ne sont que réserves de fiel ;
Mon âme et mes vertèbres courbent sous le Ciel
Bleu de cendre d'espoir et blanc de haine ensemble.



Prends un dur destrier, fais-le danser à l'amble :
Pathétique spectacle. Tel suis donc Gabriel
Mais j'éructe du fer fondu, et non pas miel,
Et j'annonce le Glaive et les glaires qui tremblent.



Putrides, mes semblables aux ailes oiseuses ;
Les miennes sont coupantes, de raide métal,
Et déchirent le soir et sa fadeur étale.



Caduques, leur Nouvelle et Morale vaseuses ;
Il est temps que l'on crie hurle et braille à l'envi
Qu'il est temps de chaumer tout ce qui reste en vie.









(postdanstaface : le premier vers est emprunté aux Derniers vers de Pierre de Ronsard, un poème d'espoir sur la mort et l'au-delà, pour ce qu'il est temps de renverser toute chose. Certains tons et couleurs dans les images sont empruntées consciemment à Der Himmel über Berlin (Les Ailes du désir) de Wim Wenders, certains assemblages de termes et les ambiances liées, à Triarii (On Wings of Steel en particulier, et entre autres), ou Baudelaire -hélas-, ou saint Jean ; l'ambiance est un souvenir de Sophia, l'album Deconstruction of the World. Rien ne naît de nulle part, toute inspiration l'est d'ailleurs, on ne fait jamais que répéter, comme un singe idiot ; reste à le savoir, et à s'en souvenir, et à le gueuler, et à gueuler ; jusqu'à la mort.)



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L'impact.

N° : 43, Le mardi 15 juillet à 01 heures 02 minutes et 29 secondes.

Peu dansent. Trop croient avoir le choix. Pour bien vivre il faut danser, danser comme l’on suit et la vague et le vent. Danser comme on subit : avec joie. La joie du soumis.

Ce soir je danse. Dans mon habitacle et sous ses tubes de tôle, et sous mes côtes, je danse. Quoi que je puisse faire de ma vie, je n'en ressens pas moins, jour après jour, sa lamentable vanité et la fausseté de chacun de mes divertissements. C’est un constat plein d’amertume mais joyeux, car je l’accepte comme inévitable. Le chœur dansait, dans la tragédie grecque. Je danse.

Je danse et je ris. Un routier dansant au son des aulos. Qui peut imaginer cela. Je ris et je suis encore un peu plus distant du monde, en riant, un peu plus seul et plus perdu dans la joie. Il y a déjà six ans que j’ai abandonné la vie d’autrefois, abandonné la culture même et les métiers aberrants, la course inepte de la vie, pour devenir routier. Un routier converti. Qui songe à Eschyle en conduisant son dix-huit roues. Jadis je croyais avoir un rôle, un rôle par moi-même, identitaire, reconnu par les autres ; je croyais être indispensable. Je pensais être autre chose qu’un rouage machiné. Puis j’ai déchanté, peu à peu, je ne sais pas selon quels processus, mais sans crises. J’ai quitté la course métaphorique de l’existence pour sa vérité ; j’ai quitté la course sur la route métaphorique que tous suivent, matin et soir, pleine de platitude et d’ennui profond, à moins de se laisser aller à une paresse contemplative ; quitté la voie toute tracée du bon citoyen, rythmée chaque soir par l’abandon obligé au creux d’un canapé mou, en songeant à des illusions de pérennité, à l’oisiveté idéale et au confort misérable, voire à un avenir de conte de fée sale - j’ai quitté tout cela, pour monter sur l’asphalte réelle, physiquement poussiéreuse et physiquement salissante, vraie, et pour tracer, enfin, une route purement réelle, apoétique, désespérée. Dans la joie de l’acceptation, enfin. Avec un grand rire.

Depuis mon départ et de route en route, quelle que soit la destination et quel que soit le chemin, traînant des tonnes de pommes, de pierres ou de clandestins, qui sait, mes pensées sont les mêmes. Je dis oui, je danse et je dis oui. Chaque jour, je me hâte vers la mort qui m’appelle, sans me hâter, chaque jour j’accepte en souriant le temps qui passe - car la fin ne peut être qu’un soulagement et l’éclat untime ; comme le disait mon guide entre tous, « et que la fin nous illumine ».

J’ai renoncé à tous les mensonges, et je ris de me voir en sage chinois. Je suis le sage en marcel… le sage suant sous des bras gras, le sage aux cuisses déformées par le fauteuil et l’inaction. Un Bouddha porcin, un Bouddha salé contre les statues de sucre, mais obèse, comme elles. Je sais le mensonge de la vie commune, et je n’aspire qu’à la lumière ; je ne souhaite rien d'autre que brûler toutes les forces qu'il me reste encore, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus, me jeter dans la bataille comme s'il n'y avait plus de lendemain, car c’est ainsi, il n’y a jamais de lendemain. Connaître l'extase aveuglante ou bien l’oubli doux et tiède ou bien la souffrance brûlante plutôt que leurs succédanés d'émotions ternes. J’aurais pu devenir fou, devenir mauvais ou un paria ; j’ai choisi, pour vivre heureux, de vivre caché ; et larvatus prodeo.

Je suis routier parmi les routiers, routier parmi les citadins, routier pour le paysan posé sur son tracteur, routier pour le sanglier qui traverse devant mes roues. Rien d’autre. Je suis l’outil du camion, l’objet servant du moteur et du volant, l’employé. Je suis une statistique sur les feuilles de route de mon employeur, une donnée logistique, une feuille de salaire. Je suis un serviteur. Et je danse.

Je rumine et je répète, je n’ai plus aucune idée, je n’ai plus aucun désir ; je danse. Je ne souffre plus, je ne subis plus l’amertume, je ne croûle plus moi-même dans les décombres d’une routine asphyxiante, je respire librement la substance brune de l’inexistence, j’ai dit oui et je m’en suis allé. Je me suis arraché aux tourments, je me sens dieu parmi les hommes, qui me voient routier parmi les dieux, mais tournent comme vers en cadavre. Je connais une félicité plus pure que nul n’imagine. Je vole dans les vibrations graves du moteur, je me fonds avec son mouvement, son odeur, sa crasse et son utilité. Elle est bête de somme, je suis son muscle, un de ses muscles. Que l’on dise que j’emmerde le monde et moi avec, ou que j’ai atteint la jouissance inconcevable de la divinité condensé en une subtile et unique liqueur, ou que l’ataraxie est mienne, peu importe, les mots sont caduques. Je rumine et je répète, je n’ai plus aucune idée, je n’ai plus aucun désir ; je danse.

J’ai cru au départ qu’il y aurait une contrepartie. Que chaque bienfait en avait une. J’ai jugé devoir assumer un jour le poids de mes décisions. Regretter, payer, souffrir à nouveau, m^me revenir. J’avais tort. La reine brune de l’oubli est maîtresse magnanime et son amour, croissant. La fuite en avant n’a pas de fin, l’acceptation et l’oubli n’ont de fin que celle qui doit être. Il n’y a ni peur, ni manque atroce, ni doute ni détresse. Il y a des bornes, des colinéateurs et des platanes, des relais et des hangars. Il y a ce monde d’insectes terrorisés, de véhicules fragiles hurlant vers nulle part, sous mes pieds, grattant la terre, les motards courbés subissant le vent et la gravité, les lignes veules des berlines cherchant à fuir la résistance de l’air, l’aérodynamisme au service de la vitesse, il y a les pots catalytiques cherchant à fuir les particules salissantes, et il y a moi. Moi et mon camion, mon camion droit comme un mur, sale car il est sale, utile et rien d’autre qu’utile, mon camion qui avance et ne fuit pas, droit et disant oui, oui au monde, et quand bien même, et tant pis. Je sers et j’accepte.

Et passant ce mamelon que je connais, j’ai dit oui une fois de plus, j’ai compris l’étape suivante de mon chemin et de ma danse. Entamant la descente vers la portion rapide, je me suis souvenu de tous ces soirs à contempler l’or des troncs sur le bord de la route, éclairés par le soleil se couchant dans mon dos, sans feuilles ni volonté. Je me souviens avoir su que moi aussi, touché par la Grâce du soleil dans mon dos, moi touché par l’or de la vie, dansant, je brillais. Je sais avoir vu les arbres danser dans la lumière et mes larmes aussi, au coin de mes yeux. Puis il y avait le virage à gauche, léger et accepté par mes bras, car il en était ainsi. Mais je me souviens avoir su dès le premier passage qu’un soir, le soleil rasant les vignes dans mon dos, dans ma cabine silencieuse et bercé par les basses grasses du moteur, un éclat orange frappant mon visage en se reflétant dans les rétroviseurs, qu’un soir, je ne prendrais pas le virage, mais un platane, ce platane, droit face à moi, dans plus d’un kilomètre encore.

Je me souviens avoir su que ce jour-là, il serait encore temps, plusieurs longues secondes, de murmurer oui à voix basse et, encore et encore, de danser et de dire oui, et merde au monde, et d’aimer la lumière rasante, et la joie dorée des écorces vives.



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Coin de table numéro sept.

N° : 42, Le mardi 15 juillet à 00 heures 59 minutes et 12 secondes.





La tragédie n'est pas de subir ou le poids des frustrations, ni la puissance des passions elle-même ; mais l'élasticité de l'esprit face à elles. Qu'on en chie, soit. Mais n'importe quel objet finit par claquer, putain. N'importe quel caillasse a l'élégance de ne pas accepter l'écrasement jusqu'au bout, et te pète aux mains, et s'il peut t'en arracher un morceau au passage, et te laisser le lambeau pendant comme un beau souvenir inerte, il le fait. Ce fils de pute d'esprit, lui, avec sa petite gueule immatérielle, il bouffe, il bouffe, il chouine, il couine, il râle qu'il en peut plus, mais il en peut toujours un peu plus. Mais pas question de le convaincre de sa résistance : non, il en chie, et il le chiale sur tous les toits.

et la joie dorée des écorces vives
et la joie dorée des écorces vives
et la joie dorée des écorces vives

mon cul, ouais

Y a toujours un virage de plus, toujours un tour de roue après celui-là. Pute de vie.



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Où l'on vous traite de lumière du jour et de mauvais croyants. Putes.

N° : 41, Le jeudi 13 mars à 11 heures 10 minutes et 11 secondes.




On n’est jamais qu’une cathédrale. D’aucuns s’en émerveillent. Ce sont des rustres. On n’est jamais qu’une forme vide en pierre froide percée de trous en verre peint, mal, souvent. Ventée, solennelle et ventée, tendue vers le ciel et clouée par sa masse.













J’envie la gloire des lapicides, et celle des statuaires médiévaux. Ceux qui ne signaient pas mais avaient mis leur patience, la force de leurs mains et leur culture dans des pierres formées, posées, et préservées après eux. Après eux, si l’on écoute l’Etat-Civil ; ce porc. Ils sont là, eux. Il y a les gargouilles. Il y a même les blocs. Calmes blocs ici-bas chus, eux, véritablement.

J’envie ceux qui persistent en quelque chose. Ceux qui écrivent ne persistent qu'en mots et pas davantage que comme une impression rétinienne, ou le souvenir d’une voix, et les oreilles n’ont pas mémoire. Cathédrales de vent.

Je laisse vieillir Glo, oui, je le laisse crouler, lui aussi. Tout cela meurt fort bien. Je déshabille la fange et la poussière. Les cathédrales, bâties en une grotte, seraient des antres. Elles existent par la lumière du dehors. La rosace est belle face au soleil. Les volumes, libérés par la clarté du dehors à travers les vitraux. Vos yeux l’animent ; à tort. Ou quoi bon.

Je suis un trou dont on a bien voulu faire une église, consacrée, adorée. Dessiné par des murs et nefs dont vous êtes, pour le plus, les auteurs, et le taulier l’archéologue, au mieux. Je suis un trou dont sortent des paroles, des phrases et des textes, et que vous avalez comme hostie, respirez comme Esprit Saint – ainsi que chez d’autres, d’autres auteurs, d’autres cathédrales, d’autres trous.

A quoi bon idolâtrer des cathédrales ; qu’on rêve à ceux qui les ont faites, soit, mais qu’on rêve en silence, dans l’absence et lèvres scellées. Ou que l’on vienne embrasser celles qui, parce que la Nature interdit la magie, ont prononcé ; mais pour leur chair, pas pour leurs mots. A quoi bon aduler l’artifice d’une bibliographie. Graphie. D’une ligne fausse et tracée par des historiens poudreux, ou des fidèles sans Foi. Que l’on aime les textes en l’absence des lèvres, ou revienne aux lèvres en oubliant les textes – mais c’est impossible et foutez-moi la paix. La vraie Foi transcende la flèche et la croix, et monte droit jusqu’au Verbe. Comment toute une culture peut-elle savoir, comme une évidence, qu’on croit en Dieu, pas en sa maison, que Dieu n’est pas en granite ni en verre, mais ne pas suivre la voie de pensée qui lui est donnée là, et croire encore en des auteurs. J’excuse les incroyants. Mais la pensée leur est présente. Qu’ils pensent. Je n’excuse pas les incroyants, au fond.

Je suis prêtre et absent.

(Et je ne pense pas droit et je ne pense pas net ; je sais. Je refuse. Il n’y aura pas de théorie de l’auteur, de sa fonction, de sa forme reliquaire. Je me questionne, j’écoute et je refuse, quelque réponse que ce soit. Et je pense faiblard et d’autres ont dit mieux et davantage : oui, je sais. Rien à foutre. Allez vous faire voir. Vous ne devriez pas même être ici. Vous êtes de simples voyeurs.)

(Lecteur arrivé là par hasard, tu peux encore fuir, il est temps et même besoin.)











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Griffons.

N° : 40, Le mardi 26 février à 18 heures 51 minutes et 18 secondes.

Et même les griffons sont des formes. Des trajectoires à l'encre noire, nettes et acérées. Je n'ai rien à voir là-sur, je transcris, j'ébarbe et je note. Allez vous faire foutre. C'est peut-être ça la seule façon d'écrire, se laisser faire.







* * *





Mais me taire, je ne peux.





* * *





Hurler que l'on abdique, et se taire en plein ventre.





* * *





j'ai la voix trop fautive, impure, scélérate, qui s'emballe et se perd en cheval affolé





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on n'aime pas un saint, on l'idolâtre - avec toute la morgue inconsciente qui brûle dans ce feu





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