Indigestion négative

N° : 10, le 04 04 2006

INTRO : Parfois on part en vrille sur un mot. Parfois ça donne un texte.





Une indigestion négative suppose un retournement complet du tube digestif du pylore à l'anus, moyennant section circulaire dudit pylore et évacuation du tube (et des organes liés, foie, rate, pancréas, estomac bien sûr) par l'orifice anal.

Puis on prépare un "couloir alimentaire".

Disons dans un couloir carrelé (type labo, ou même établissement d'enseignement) : il faut une surface de grande longueur (forcément, c'est long, un tube digestif), et étanche, et saine si possible, quoique du point de vue du patient, on s'en fout un peu, de la perfection sanitaire, quand on a chié ses intestins et qu'on les voit partir au loin d'entre ses jambes, dans le prolongement des testicules et le prolongement inverse du pénis, en érection pour des raisons aussi mécaniques (zone érogène anale oblige) qu'étrange et tragique.
On aura ménagé une sorte de coffrage, à droite et à gauche du couloir alimentaire, sur une hauteur d'environ trente centimètres (ça suffit : un estomac, soumis aux pénibles lois de la pesanteur, c'est pas bien haut).

Puis on remplit ce couloir alimentaire, à mi hauteur, d'une masse semi liquide préparée à base de viande hachée crue ou mi cuite, de ratatouille, d'eau, de poivre, de piment oiseau finement ciselé, de vinaigre de vin rouge, de foie de porc en purée, de frites dissoutes une nuit dans deux fois leur volume de cola (marque indifférente), de whisky, de chocolat fondu et de café noir.

On pose le tube retourné sur ce couloir alimentaire à moitié rempli.

Puis on ajoute la même masse alimentaire par dessus le tube, qui doit disparaître intégralement sous au moins 12 centimètres de matière.

Pendant toute l'opération et la suite, le patient est maintenu en vie : ligature rapide, dès la section, de l'oesophage, et des veines afférentes ; mesures des principales constantes en continu ; remplissage de l'abdomen par un gel physiologique de volume sensiblement égal à celui du tube digestif avant inversion, afin de permettre, principalement, un fonctionnement normal du diaphragme, et donc une respiration naturelle dans de bonnes conditions. Prévoir un respirateur artificiel, en cas de besoin.
En particulier, un système d'aide à l'irrigation sanguine est à organiser : micro-chirurgie des artères et veinules de la région du pylore, en vue de les relier à un canal externe muni d'une pompe d'aide au coeur, qui puisse ramener le sang depuis la poitrine du patient jusqu'au pylore extrait, plusieurs mètres plus loin. De même pour tout le système sanguin lié à l'appareil digestif. Prévoir un spécialiste ad hoc.

Le couloir alimentaire devra être protégé immédiatement des parasites et mouches par un filmage au cellophane.

Après ces préparatifs, on laisse le patient et son tube dans le dispositif, pendant une durée d'au moins 96 heures (variable selon le sexe, la taille et le poids originels).

La mesure des constantes, de même que les données colorimétriques obtenues par examen visuel de la peau du patient, et son témoignage verbal, doivent montrer, dès 24 heures, un phénomène de surcharge nutritive et de malaise général.

Le coma est à prévoir assez tard, aux alentours du septième jour ; hélas, étant donné la difficulté qu'il y a à maintenir des conditions sanitaires parfaites dans le dispositif du couloir alimentaire (les désinfectants usuels, même chirurgicaux, causant rapidement des ulcères et des brûlures sur les viscères extraites), le décès survient généralement bien avant, par septicémie.

Cependant, l'expérience permet d'observer efficacement et longuement, somme toute, le déroulement et les effets d'une indigestion inverse , qu'il serait presque bon d'appeler exdigestion.

Professeur Delesquif



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