GRAND-PERE : de Jean-Louis Costes, hélas.

N° : 24, le 06 08 2006




Un peu de monculture dans ce monde de barbares.



Jean-Louis Costes est un sacré gars, par ses activités artistiques et approchantes, depuis des années et des années, au mépris des bonnes mœurs et de l’Académie. Mais ça n’est pas moi qui pourrais le mieux vous parler de ses performances. Pas mieux qu'un télérama de pacotille.

Or Jean-Louis Costes, qui est un sacré gars, donc, a sorti un livre. Il y a un bon moment, d’ailleurs. Cette note de lecture est donc follement à côté de la plaque, c’est terriblement underground. Demain je fais une note de lecture sur Le Père Goriot, tiens. Hourra. Et puis non, j’y renonce. Bref.

Droit au fait, Marinette.





* * * QUOI ? * * *




Grand-Père, donc. Grand-Père est un livre profondément mignon. Presque choupinet. Le petit Jean-Louis, devenu grand mais encore si fragilouninounet à l’intérieur, un peu comme un chou à la crème, raconte ce qu’il sait de son grand-père, un Arménien « pogromeur pogromé », barbare en Asie, clochard à Paris, ou presque, et héros déchu. Son enfance malheureuse, sa jeunesse violeuse et trépidante, son bel âge moustachu et gominé, puis sa déchéance.

Ah mais ça m’a pas l’air mal du tout ça, ma bonne dame.

Ah mais non. En fait c’est chiant.

D’abord, Jean-Louis Costes a fait note 1 du Jean-Louis Costes de pacotille : un style que ses fans s’acharnent à dire révolutionnaire et incantatoire et bandaisonogène, mais qui n’est au fond que du sous-Céline, pour le côté brut et populo – mais très en-dessous, sans acide et sans créativité, avec seulement le ton de patine crasseuse du français de fond de bar, et du sous-français commun, en général. Du français parlé, passé à l’écrit, assorti d’une préférence certaine pour les répétitions et les pseudo formules. Rien de neuf sous le soleil, et sous cette couverture (moche), pas de soleil, rien que du crachin miteux et du brouillard de pollution.
Sur le ton, même, malgré les élans lyriques et les créations de mots et de locutions, malgré les cris à la Costes, qui peuvent être satisfaisants pendant cinq minutes, on s’ennuie vite. Gueuler plus fort que tout le monde, et d’une façon qui m’intéresse, il sait faire. Mais gueuler trois cent pages durant, je demandais à voir. On s’habitue à tout, et après s’être habitué, on se fait chier. Dans un bouquin, l’habitude intervient vers la trentième page. L’emmerdement, à la trente et unième.

Ensuite, le récit est ennuyeux. On s’attarde, on fait de la page, on gonfle ses phrases pour arriver au quota « roman ». Et ça, ça m’énerve. Parce que Jean-Louis Costes sait écrire ; des textes courts, publiés essentiellement dans des revues très chouettes comme Hermaphrodite
note 2, ou sur le net, notamment la Zone note 3. Mais là, ça sent le pisse-copie, même si c’est de la pisse plus acide que d’ordinaire. Donc : peu d’épisodes, pas de lien, mais une accumulation sans justification interne, des personnages pauvres en chair, et un taux de répétition atroce (pas seulement des mots ou phrases, mais surtout des récits…). Du livre écrit comme on monte un journal de 20 heures : du sensationnel, des grosses images avec beaucoup de sang et beaucoup de merde, pour un seul intérêt, faire dire « han mon dieuuuuuu » au lecteur.





* * * HAN MAIS ALORS POURQUOI ? * * *



Pour finir, ce livre, à quoi bon ? Pour la culbute finale inepte, sur le personnage réel devenu personnage de fiction ? Pour le passage de psychologie niveau Terminale, sur le fils qui se construit sur et contre le grand-père ? Pour le putain de message de loutre sur gnagnagna la guerre les pogroms la misère humaine c’est pa’d’leur faute ? Je cherche, cherche, et point ne trouve. Grand-Père reste pour moi un mystère, un objet profondément inutile, et au surplus dépourvu d’attrait.

Sauf… sauf que comme on nous l’a dit et répété, c’est « le livre de Costes ». Super. Génial. Et demain on nous vendra son premier mot croisé et une photo de sa première croûte au genou.





* * * LA VOIX DE SON MAÎTRE * * *



Et qu’en dit-il, lui, de son livre ?

Au Salon du Livre de Paris, je lui ai demandé de vive voix (bon, pas trop vive, parce que je suis quand même une fiotte note 2) si Jean-Louis Costes publiant chez Fayard, bref chez presque-TF1-Editions, éditeur machine-à-fric dont on ne peut pas vraiment dire qu’il soit « underground », après une vie d’activisme artistique indépendant, c’était normal/juste/voulu ; et si c’était voulu, s’il y avait une volonté subversive masquée, soit se servir du système à son profit et lui dire merde in peto, soit s’en servir plus tard dans un autre projet, moyennant retournement.

La réponse me rassure sur Jean-Louis Costes. En substance, Grand-Père est issu d’un texte bref préexistant ; les gens de chez Fayard l’ont lu, et se sont dit, tiens, on va faire du Costes, paraît qu’il mange son caca, c’est cool, ça va vendre. Jean-Louis Costes, lui, a vu qu’on lui proposait plein de fric pour tenter une expérience encore inconnue pour lui, l’écriture longue ; il a dit oui. Artistiquement et humainement, je ne peux pas lui en vouloir. Au contraire. Attrait de la nouveauté, expérience littéraire, blablabla, tout ça, fort bien.





* * * MAIS, il y a toujours un MAIS * * *



Reste le problème du nom, et de l’aura de l’artiste (en général).


Fallait-il que Costes publie une merde potentielle (et qui selon moi en est effectivement une) sous son nom ?
Qu’il agisse, dans ses opéras punk et ses performances, sous son nom, relève à mon avis de l’honnêteté intellectuelle et de l’engagement le plus franc ; un révolutionnaire anonyme, c’est de la viande froide.
Mais utiliser ce même nom dans une entreprise non subversive, purement littéraire, et sans rapport aucun avec ce qu’il fait par ailleurs ?



Publier Grand-Père sous le nom de Costes, c’est certes agir en auteur responsable, c’est aussi obéir au principe du livre, semi-biographico-autobiographique (lisez pour comprendre le "semi-biographico-autobiographique"). C’est au fond juste et sain.

Mais c’est aussi salir, à mon goût, tout le reste de ce que « Jean-Louis Costes » a fait. Parce que c’est offrir à Fayard l’argument de vente sur lequel ils tablaient, et entrer de plein pied dans le grand foutoir commercial de l’édition. Parce que c’est mettre sur le même plan un très mauvais livre et de très grands actes artistiques. Parce que c’est vendre, vraiment « vendre », « le livre de Jean-Louis Costes », et non pas un roman traitant de ceci ou de cela. Grand-Père aurait tout aussi bien pu traiter de la culture de la chicorée en Anjou, ç’aurait toujours été « le livre de Jean-Louis Costes » (trompettes, flonflons, majorettes, cymbales).
Parce que l’étiquette précède l’objet, dans ce cas.

C'était dire oui au système.

La méthode ? D’abord fixer Costes, comme une bête un peu dégueu qui a bien vécu et bien fait peur aux gens, mais dont on n’a plus besoin désormais : on n’a plus besoin que de son nom. Costes est mort, depuis six mois : Costes est devenu une bête de foire. On promène Costes de site en site (c’est le premier contact que j’ai eu avec sa promo) : un compte lambda se crée un jour sur votre forum, ce compte vous pose une pêche n’importe où, qui fait l’annonce du « roman de Costes », son éloge inspiré, et vous propose une putain d’interview formidable exclusive admirable incroyable du bonhomme. Ca n’est pas Costes qui propose : c’est son attaché de presse virtuel. Après, si l’on accepte, Costes arrive. Schéma habituel de la starification, mais on pourrait aussi dire de la castration. Maman présente, puis bébé arrive si on veut bien. Par ailleurs, quels forums ? Tous les forums. Que Costes vienne sur la Zone, ça me semblait normal sur le principe. Et ça s’est soldé par une interview mais aussi et surtout un texte déposé sur le site. Collaboration normale. D’accord. Mais qu’il vienne sur Lapin, par exemple, site spécialisé en comic strip et en humour absurde, faudra m’expliquer. La raison ? La raison, c’est que le cirque s’arrête dans toutes les villes, Paris, Bordeaux, Marseille, Angoulême, Pleumeur Bodou, Font Romeu, Schwindratzheim. Rien à foutre, du moment qu’on peut vendre deux trois billets. Et le cirque Costes s’arrête sur tous les sites, rien à foutre, du moment qu’on peut vendre deux trois bouquins.

Voilà comment j’ai abordé le livre : le produit dérivé d’une icône morte et empaillée. C’est ainsi qu’on me l’a présenté, du moins.



Publier sous pseudo, c’était à mon sens la voie de l’honnêteté. C’était laisser le livre vivre sa vie, le faire naître puis le lâcher, et vogue le navire. Grand-Père aurait vécu une vie bien brève, dans ce cas, je veux bien y parier mon slip. C’est cependant une conjecture personnelle. En tout cas, on aurait pu faire la part des choses, parler du livre et non du livre de machin, et n’avoir aucun a priori.





Plus généralement, le pseudonyme en littérature me semble une pratique très saine. Parler, puis se taire, et laisser les gens entendre ce qu’ils ont à entendre, non ce que vous, auteur, voulez qu’ils entendent ; en ne posant nulle part votre marque, nulle part le fer rouge qui désigne une possession illusoire, et en n’offrant aucune prise à l’explicationnite critique. Un livre, pas d’auteur. Juste un nom ; faux.

De là, pas d’aura de l’auteur, pas de « le nouveau livre de », pas d’interview télé, pas de photo en 4’ de couv’. Un livre, point. Pas d’aura de l’auteur, pas d’aura de son nom. Un auteur absent.

Et vive Blanchot.







note 1 : il va de soi que je parle de ce que j'ai devant moi, un bouquin. L'intention de l'auteur est ce qu'elle est ; son travail initial est ce qu'il est ; j'ose dire pour autant qu'on s'en branle le genou. Un livre est paru, on parle du livre. C'est la dure loi de l'édition. C'est bien le problème, d'ailleurs.

note 2 : http://hermaphrodite.fr/accueil

note 3 : http://zone.apinc.org

note 4 : et une pute d'élite en précipité de foutre, puisque j'ai désormais un exemplaire dédicacé, même que j'ai passé un moment très plaisant et très enrichissant avec le monsieur. Ce qui ne m'empêche pas à présent de molarder sur son bouquin. CQFDDTCS.




Commentaires

Ecrit par : Eckart

Je ne suis pas d'accord. En partie du moins. En tant qu'artiste et performeur "underground", soit, mais se vendre à fayard, même sous un pseudo, c'est mentir. Le résultat est là : le fond contre les thunes. Et même si on juge un livre, et pas un auteur, ce dernier s'est trahi, lui et ce qu'il a promu par ses performances, en se vendant à ce qu'il conteste. Je parlerais même de combat. Bref, soit t'es le Costes musical, qui propose de l'alternatif, soit tu plonges dans un système qui présente ses avantages en terme de pécunes, et d'individualisme ahaha. ( Ce commentaire a pour unique but d'introduire la fait que Glaüx, je t'aime, je vais un créer un skyblog pour ton fan club qui compte déjà 12 adhérentes, dont huit sucent et quatres avalent, contacte moi vite par sms ou de vive voix au 00 49 1 52 25 82 38 69 OU, si tu veux payer davantage au 06 77 12 89 56. ) Je t'attends...


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